Jeûne et cancer
Depuis quelques années, on observe un intérêt croissant pour le jeûne et les diètes restrictives dans la prise en charge de certaines maladies. Dans le cas du cancer, le fait de rester à jeun de façon prolongée est parfois présenté comme une forme de thérapie pouvant contribuer à la guérison ou à l’atténuation des effets secondaires induits par les chimiothérapies.
Cependant, une analyse récente des publications scientifiques sur le sujet, conduite par les experts du Réseau National Alimentation Cancer Recherche (NACRe), met en évidence le manque de fiabilité des données disponibles concernant les effets du jeûne ou des régimes restrictifs chez les patients atteints de cancer. Celle-ci est principalement due à des études de qualité méthodologique perfectible.
Sachant que la perte de poids et de masse musculaire chez les personnes touchées par un cancer est corrélée à une augmentation du risque de décès, une grande prudence s’impose quant à l’application du jeûne dans un tel cadre, au moins en attendant les résultats d’investigations scientifiques plus rigoureuses sur le plan méthodologique.

Être à jeun, pourquoi ?
Le terme « jeûne » désigne l’abstention volontaire et temporaire de toute nourriture solide, pour une durée variable allant de quelques heures à plusieurs jours. L’hydratation est maintenue grâce à l’ingestion de boissons hypocaloriques ou non caloriques (eau, infusions, bouillons de légumes, par exemple) sauf jeûne hydrique (cas particulier). Cette période d’abstinence peut être précédée et suivie de phases de transition alimentaire, afin d’acclimater progressivement l’organisme au manque puis à la reprise d’alimentation.
Le jeûne est historiquement associé aux pratiques religieuses, où il symbolise une forme de purification spirituelle et corporelle, ainsi qu’une opportunité de se recentrer sur des exercices spirituels. Dès le XIXe siècle, il a également été promu dans une perspective d’amélioration de la santé. Cette pratique perdure dans certains pays, avec des structures dédiées telles que les « maisons du jeûne » en Allemagne ou au Canada, offrant un encadrement par des professionnels de santé.
Le jeûne, une diète en vogue
En France, le jeûne connaît un regain d’intérêt depuis quelques années. On estime à environ 4 à 5 000 le nombre de personnes qui le pratiquent régulièrement en dehors de tout contexte religieux. Il s’agit majoritairement de femmes (71%), âgées de 45 à 60 ans (54%) et ayant un niveau d’études supérieur.
La notion de jeûne est parfois étendue aux régimes dits « restrictifs », notamment dans les études portant sur le lien entre jeûne et cancer. On distingue ainsi :
- La restriction calorique (diminution de l’apport calorique quotidien, dans une optique de perte de poids).
- La restriction protéique (apport en protéines représentant moins de 10% des calories journalières) avec notamment l’idée de favoriser le recyclage des cellules inaptes (apoptose).
- La restriction glucidique (apport en glucides représentant moins de 10% des calories journalières), également connue sous le nom de régime cétogène.
Effets du jeûne
Les effets de ces régimes ou du jeûne intermittent sur l’organisme sont moins marqués que ceux du jeûne pure, mais leur application sur des périodes plus longues les expose à des risques différents.
Quand on est à jeun l’organisme utilise initialement ses réserves de glycogène (glucose stocké dans le foie et les muscles) pour produire de l’énergie. Cependant, ces réserves sont limitées. Face à la diminution du glucose disponible, l’organisme s’adapte en réduisant la glycémie et le taux d’insuline. Certains organes, comme les muscles, diminuent leur consommation énergétique. Néanmoins, d’autres organes, notamment le cerveau et les globules rouges, ont des besoins énergétiques constants et nécessitent des sources alternatives.
Les lipides sont alors progressivement mobilisés et transformés en acides gras, puis en corps cétoniques, qui peuvent être utilisés comme source d’énergie par les cellules. De plus, les protéines musculaires sont également dégradées pour produire du glucose à partir des acides aminés qui les composent, un processus appelé néoglucogenèse, qui se déroule dans le foie.

Comment jeûner sans risque
Les risques associés au jeûne et aux régimes restrictifs sont principalement la perte de masse musculaire et de tissu adipeux. Chez les individus minces, cela peut accentuer la maigreur. De plus, la perte de masse musculaire a un impact négatif sur l’état général et les défenses immunitaires.
Ces risques sont particulièrement préoccupants chez les personnes atteintes de cancer. En effet, il est établi que la cachexie (perte importante de tissu adipeux) et la sarcopénie (perte significative de masse musculaire) constituent un facteur de risque supplémentaire de mortalité. C’est pourquoi une attention particulière est portée à l’état nutritionnel des patients atteints de cancer, avec parfois la prescription de compléments nutritionnels hypercaloriques et hyperprotéinés, dans le but de préserver le poids et la masse musculaire.
La production de corps cétoniques à partir des lipides tend également à acidifier le sang (baisse du pH), ce qui peut entraîner des effets indésirables : c’est l’acidocétose (transitoire en principe), qui peut se manifester par des nausées, une soif intense ou des douleurs abdominales, voire une confusion ou des troubles du comportement.
Enfin, les régimes restrictifs, lorsqu’ils sont suivis sur de longues périodes, peuvent engendrer des déséquilibres nutritionnels aux conséquences variables selon les nutriments concernés par la restriction, d’où l’intérêt d’être suivi par un médecin ou un nutritionniste ou encore d’intégrer un centre de jeûne médicalisé dûment certifié.
Etudes médicales sur le jeûne
Le jeûne et les régimes restrictifs font l’objet de nombreuses études scientifiques afin d’élucider leurs effets et d’évaluer leur intérêt dans diverses pathologies. Par exemple, chez l’animal (principalement des rongeurs), la restriction calorique (qu’elle soit continue ou intermittente) a montré divers effets, dont un allongement de l’espérance de vie moyenne (effet qui n’a pas été démontré chez l’être humain).
Dans le domaine du cancer, on recense plus de 200 publications scientifiques portant sur des études menées chez la souris ou le rat sur des cancers dits « induits » (voir les recherches de valter Longo). Certaines études mettent en évidence un effet bénéfique du jeûne, d’autres une absence d’effet, et d’autres encore un effet délétère. Par exemple :
une douzaine d’études suggèrent que le jeûne améliore la réponse de ces animaux à la chimiothérapie anticancéreuse. Cependant, une dizaine d’autres études ne montrent aucun effet, et deux études indiquent même une diminution de l’efficacité de la chimiothérapie et une augmentation de la mortalité chez les animaux malades.
De plus, de nombreuses publications explorent les effets du jeûne ou des régimes restrictifs sur le fonctionnement des cellules cancéreuses in vitro, suggérant que la réduction de l’apport nutritionnel perturbe certains mécanismes biochimiques essentiels à la croissance tumorale.
Ces observations ont incité certaines équipes de recherche à étudier les effets du jeûne et des régimes restrictifs chez des patients, dans le cadre des traitements contre le cancer.
Jeûne et cancer, besoin de recherches
Fin 2017, le NACRe a publié un rapport synthétisant l’état actuel des connaissances scientifiques sur la relation entre le jeûne et le cancer, ainsi que sur la2 pratique du jeûne en France. Cette expertise collective a identifié une quinzaine d’études cliniques réalisées chez l’humain.
Malheureusement, ces études portaient sur de petits effectifs de patients (généralement moins de 20), ce qui rend leur analyse statistique difficile, voire impossible. De plus, ces études ne respectaient pas toujours deux règles fondamentales de la recherche clinique : la comparaison avec un groupe contrôle (patients ne suivant pas de programme de jeûne ou de restriction alimentaire) et la randomisation (répartition aléatoire des participants dans les différents groupes, afin de garantir leur homogénéité). Le non-respect de ces règles rend les conclusions de ces études difficiles à interpréter en termes de fiabilité.
Par ailleurs, les experts du NACRe ont constaté que ces études ne comportaient pas systématiquement d’évaluation nutritionnelle des patients avant le début de l’étude, ce qui ne permet pas de s’assurer de l’homogénéité des participants face aux effets potentiels du jeûne.
Au-delà de cette quinzaine d’études cliniques publiées, le rapport du NACRe a recensé
- 37 études cliniques dont les résultats n’étaient pas encore disponibles au moment de sa rédaction
- 2 études interrompues avant leur terme (difficultés de recrutement ou d’observance du régime)
- 11 études terminées dont les résultats n’avaient pas encore été publiés et 24 études en cours.
Le rapport du NACRe a analysé 9 études cliniques portant sur l’effet du régime cétogène (restriction glucidique) sur la qualité de vie ou l’évolution du cancer (pour différents types de cancers). Concernant la progression du cancer :
- 3 études suggèrent un effet favorable du régime cétogène
- 4 une absence d’effet, voire un effet défavorable.
Ces études présentent toutefois des limites méthodologiques (absence de groupe contrôle ou de randomisation, faible nombre de patients).
Jeûne et cancer : prudence
En conclusion, Il n’existe hélas à ce stade chez l’humain, aucune preuve d’efficacité thérapeutique du jeûne dans le traitement du cancer. Malgré les espoirs de valter Longo on n’observe pas de réduction indiscutables de effets secondaires des traitements par chimiothérapies. Les études sont à ce jour de trop faible grade et trop peu nombreuses pour étayer les déclarations enthousiastes sur le sujet. C’est pourquoi de nouvelles études à plus grande échelles et surtout plus académiques dans leur mise en œuvre, devront aider à tranche définitivement la question. Jusque là il convient de rester prudent et de ne rien céder aux aventures alimentaires en vogue dans le milieu de la pseudo science au moment où sont publiées ces lignes et à l’avenir. Ceci n’enlevant d’ailleurs rien à l’intérêt d’un jeûne contrôlé dans le cadre d’une recherche de bien être ou d’une quête spirituelle, si l’on est exempt de toute pathologie en contradiction.